Les belles histoires de French Cancan...

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite ou volontaire.

20/10/2009

#9. La Poste, on a tous à y gagner ?


14h -
Je sors de chez moi, mon sac rempli de colis à poster à l'épaule.



14h03 -
Je franchis le seuil du bureau de poste. Une longue barrière humaine scinde les locaux en deux parties. Une douzaine de personnes forme une file indienne. Loin devant, deux panneaux de séparation sont disposés devant les 4 guichets "Toutes opérations", et forment ainsi un rempart qui cache la non-activité des employés. Sur ces 4 guichets, un seul est opérationnel, les autres sont totalement désertés. Pour offrir un meilleur service à ses clients, La Poste a réorganisé son agencement.
À ma gauche, deux machines pour peser soi-même ses envois et imprimer soi-même ses timbres. Sur ces deux machines, une est hors service. Juste à côté se trouve la photocopieuse, pour photocopier soi-même ses documents. Une belle feuille A4 est scotchée sur le capot de la machine, une note y est rédigée à l'attention de ceux qui tenteraient de vouloir l'utiliser. On peut y voir dans une écriture enfantine les mots "En panne". Juste à côté de cette machine performante sans contrat de maintenance, se trouve le guichet "Colis". Mais tout comme les 3 guichets "Toutes opérations", celui-là est définitivement laissé à l'abandon. Pour bien signifier que c'est peine perdue d'espérer y voir un employé, le guichet a été redécoré de toutes parts avec tous les emballages colissimo possibles et imaginables. C'est devenu la vitrine d'exposition des produits de La Poste. Deux bancs vous laissent imaginer qu'il y a eu de l'attente et donc de l'activité il fut un temps. Mais ces bancs ne servent à personne, et personne n'oserait laisser sa place dans la queue pour aller s'asseoir en attendant que ça se passe.
À ma droite, le guichet "Lettres recommandées". Une fois de plus, la sentinelle chargée de cette lourde tâche a abandonné son poste.
Derrière moi, un autre guichet un peu obscure quant à ses activités. On imagine que des colis y sont envoyés car là encore, des monticules d'emballages Chronopost et Colissimo sont disposés tout autour en forteresse cartonnée.

14h05 - La toute petite dame âgée juste avant moi dans la queue commence à s'agiter. Elle essaie, tout en restant à sa place précieuse, de voir ce qu'il se passe derrière les remparts publicitaires (oui, on y trouve un peu de tout : des paquets d'enveloppes pré-timbrées, des livres de cuisine, des bd et des dvd à prix ne défiant absolument aucune concurrence, etc). Après des étirements physiques dignes d'un petit rat de l'Opéra, elle constate qu'elle n'est pas au bout de ses peines et trépigne de plus belle.

14h07 - La toute petite dame âgée déclare forfait. Elle quitte sa place et décide de partir vaquer à d'autres occupations. J'y gagne donc une place, et je décide de ne pas avancer d'un pas pour laisser un passage aux gens qui souhaiteraient utiliser eux-mêmes la machine à poster, et pour ainsi m'éviter des bousculades désagréables nerveusement.

14h08 - Un cadre dynamique pénètre les lieux d'un pas pressé. Malheureux! C'est la chose à ne pas faire à La Poste : être dans l'urgence. D'un regard affolé, il déchiffre rapidement tous les panneaux qui indiquent quel guichet s'occupe de quoi. Il cible le guichet "Colis" et l'atteint en trois enjambées. Il tente de trouver l'employé invisible qui se cacherait peut-être derrière les montagnes de cartons d'emballage. Très vite (il est pressé, rappelons-le), il comprend qu'il ne sera pas servi. Il cible alors une employée de la poste en balade digestive et qui passait par là. Il la harponne, la mitraille de questions et de reproches à la limite de l'insulte, et décide finalement de jeter l'éponge face à l'incompétence postière.

14h13 - Entre temps la file indienne s'est allongée. 5 personnes sont derrière moi. L'une d'entre elles, voyant l'écart civique de 45 cm que j'ai laissé devant moi, fait une tentative d'extorsion de place. Mais j'ai bien évidemment riposté en lui indiquant le sens de la queue. La personne se replie en soupirant bruyamment.

14h18 - La queue avance au ralenti. Les gens commencent à sautiller d'impatience et de léthargie. Je commence à ne plus sentir ma jambe droite. Je sautille également pour faire repartir ma circulation sanguine.

14h20 - On entend des soupirs, des grognements, des phrases haineuses marmonnées. L'attente devient insupportable. Les gens vérifient pour la énième fois l'adresse écrite sur leur enveloppe. Ils tapotent sur leurs téléphones portables pour s'occuper, tout en restant sur le qui-vive pour réagir à la seconde même où la queue avance.

14h24 - La queue avance. Presque simultanément, chaque personne fait deux petits pas en avant en traînant des pieds. Derrière moi, je sens une respiration proche, une chaleur qui émane et une sorte de gêne dans le dos. Je me retourne. Là, à 3 centimètres de distance, se tient une jeune fille qui protège sa place par le moyen le plus radical : se coller à la personne devant. Cette personne, bien sûr, il faut que ce soit moi. J'inspire profondément, j'ouvre un chakra et j'expire lentement.

14h30 - J'y suis presque! Plus que trois personnes avant moi. Le calvaire de l'attente debout touche à sa fin. Courage, il ne faut surtout pas faillir si proche du but.

14h31 - Miracle, l'employée précédemment en balade digestive s'installe à un des 4 guichets.

14h32 - L'employée enlève l'écriteau "guichet fermé".

14h33 - L'employée le remplace par un écriteau "cartes Pro".

14h33 et 12 centièmes - Une file s'est soudainement formée devant le guichet. D'où viennent ces personnes, personne ne le saura car tout le monde était occupé à scruter le moment où l'autre employé prononcera les mots magiques "Personne suivante". Dans la file "Cartes pro", les personnes s'agrippent à leurs cartes VIP.

14h35 - Les soupirs se sont transformés en râles. Ma file est exaspérée et dégoûtée du traitement de faveur qui est fait aux personnes qui ont les moyens de payer minimum 50€/an pour avoir le privilège de faire un peu moins la queue à La Poste.

14h38 - Hourrah! Je suis à présent en tête de file. Une certaine fierté m'envahit ; j'ai tenu jusque là en ayant gardé mon calme et sans perdre une jambe. Je jette un coup d'oeil à la longueur de la file derrière moi. Je me surprends à avoir un sourire en coin mesquin qui traduit mon orgueil de première de la file. Je regarde tous ceux qui sont derrière moi avec un oeil narquois.

14h40 - J'entends l'employé commencer un dialogue avec le client, annonçant mon passage imminent!:
"Et avec ceci Monsieur?
- Ce sera tout.
-Alors, ça vous fera 28, 43€..."
Le client sort son portefeuille ; les battements de mon coeur s'accélèrent.
Mais c'est à ce moment que j'entends à ma gauche des pieds racler le sol. La démarche est ponctuée d'un bruit métallique et régulier, proche du son du glas. Mon regard se dirige vers cette marche funèbre. Là, mon coeur s'arrête. Avançant d'un pas résigné, un vieillard et son déambulateur partent à la conquête de MON guichet. Il tient dans sa main une carte soigneusement plastifiée. Ce vieillard possède la black card des cartes VIP : la fameuse carte "handicapé", passage prioritaire, étoiles de l'Union européenne, fauteuil roulant, doigt d'honneur.
Sûr de lui et de son bout de papier, le vieillard a quand même la gentillesse de me montrer sa carte de plus près pour prouver sa légitimité dans le grillage éhonté de place. Tranquillement, sans trop se presser (c'est un handicapé quand même), il rejoint le guichet qui m'était destinée.

14h45 - Le vieillard doit se sentir bien seul. Car non content de griller la place à tout le monde, il entame une conversation d'ordre totalement privé avec le guichetier, nom de dieu.
"Ah ben oui, mon bon monsieur, c'est plus ce que c'était. Moi à l'époque, les gens se disaient bonjour..." Blablabla, clac, clac (bruit de son dentier mal collé), Blablablabla.

14h47 - Le vieillard souffre d'arthrite, c'est officiel.

14h48 - Pendant le bilan de santé d'Aymée Truffion (il ne nous manque plus que son numéro de sécu), la guichetière des cartes pro a fait péter la performance. Les 4 personnes VIP ont été servies! Le guichet est libre! Ni une ni deux, je fonce vers la zone libre. L'employée m'accueille :
"Bonjour Madame.."
Ayant déjà tout préparé, je lui sors mes colis et mes bordereaux soigneusement remplis.
"C'est pour des envois en colissimo.
- D'accord, alors, c'est pour envoyer en France?
- Oui, tout est prêt.
- Je vois."
Là, elle sort des bordereaux colissimo différents.
"Vous voulez les envoyer en simple ou en recommandé?
- Vous voyez, j'ai déjà rempli mes bordereaux, les voici.
- D'accord, alors, attention c'est sans signature, hein.
- Oui, je sais bien.
- Pfff, je sais pas ce que j'ai mais j'ai un de ces mal de crâne", dit-elle à son ordinateur.
Je la regarde avec des yeux ronds, les doigts tapotant sur le plastique du guichet. Elle prend un des colis, le pose sur la balance, et en attendant que ça fasse le calcul de poids (opération qui ne prend pas plus de deux secondes), elle disparaît sous son bureau. Je me penche pour voir ce qu'elle trafique. La migraineuse fouille dans son sac en lui demandant où étaient passés ses cachets pour la tête. Elle relève la tête en se confondant d'excuses pour me faire patienter. Elle refarfouille dans son sac. Elle réapparaît enfin, son porte-monnaie à la main. Elle prend un deuxième colis pour effectuer la même opération de pesée. Profitant du temps qui lui était donné, elle fouille dans son porte-monnaie et en sort quelques pièces jaunes. Elle prend un troisième colis. À ce moment-là, tous mes ongles sont cassés.
"Ahlala, non mais c'est affreux, j'ai la tête qui va exploser, je suis vraiment désolée, je vais vite aller à la machine prendre un truc sucré parce que là je tiens plus..."
Je n'ai même pas le temps d'ouvrir la bouche pour lui dire d'au moins finir ce qu'elle a commencé, qu'elle était déjà partie!
Je ronge le peu d'ongles qu'il me reste.

14h52 - La revoilà! Les mains vides.
"Encore désolée madame. Le pire, c'est que je n'avais pas la bonne monnaie pour la machine. J'y suis allée pour rien."
Mes doigts saignent.
Elle prend le dernier paquet et procède à la pesée.
"Il vous faudra autre chose??
- Non juste l'addition. Ah si, tant que vous êtes là et étant donné que je fais souvent des envois colissimo, serait-il possible que vous me donniez d'autres bordereaux pour que je les prépare à l'avance?
- Ah non, c'est impossible, nous n'avons pas été livrés, cela fait une semaine qu'on attend les fournitures."
Je ne veux pas rentrer dans sa conversation et ne lui demande donc pas comment elle aurait géré mes envois sans bordereaux.
"Tant pis. Je paye par carte."
Elle sort la machine à carte, tape consciencieusement le montant, me tend la machine. Je remarque une erreur d'entrée des chiffres.
"Euh, je vous dois 25,00 euros, pas 2500 euros...
- Ohhh, excusez-moi, hihihi, je fais n'importe quoi avec ce fichu mal de crâne."
Elle retape le montant, cette fois c'est le bon! Brl, brl, brl, le ticket sort, elle le déchire et me le tend.
"Voilà madame.
- Je peux récupérer ma carte aussi? Ça peut servir.
- Ohhh, excusez-moi, vous voyez je vous mens pas hein, j'ai besoin de sucre.
- C'est ça, aurevoir madame.
- ...
- Au-re-voir!!!
- Ohhh, excusez-moi, aurevoir madame."

14h57 - Ça y est! J'ai réussi à poster mes colis! Je n'en reviens pas, je vais enfin pouvoir quitter ses lieux où la patience est mère de toutes les vertus. Au guichet d'à côté, M. Truffion repart lui aussi avec son carnet de timbres fraîchement acheté.
Je sors du bureau de poste.
Dehors, les oiseaux chantent la victoire, tandis que M. Truffion se dirige vers la pharmacie de la poste.

15h00 - Je rentre chez moi.

15h01 - Je sors de chez moi pour aller m'acheter des faux ongles.

CC French Cancan 2009

1 commentaire:

  1. Hehehe il ne me reste plus qu'à écrire un post sur les restos espagnols et la sécu !!!! Ça fait du bien de rire de bon matin!!

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